TEST de Shadow of the Colossus sur Playstation 2

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Shadow of the Colossus

En 2001, Fumito Ueda, jusque-là inconnu du grand public, fait sensation avec Ico, un titre sorti sur Playstation 2 possédant une ambiance onirique et très intimiste jusque-là jamais mise en place dans un jeu vidéo. Quatre ans plus tard, Ueda met sur le marché son nouveau projet, Shadow of the Colossus. Le jeu est encensé par la critique et devient rapidement l’un des incontournables de la Playstation 2. Quelles sont les raisons de cet enthousiasme unanime ? Le jeu est-t-il un véritable chef-d’œuvre ? Réponse dans ce test.

Perdu dans un monde de géants

Brisons le suspense sans plus attendre : les graphismes de Shadow of the Colossus comptent tout simplement parmi les meilleurs de la console. Les environnements traversés sont d’une ampleur colossale et le monde parcouru par le joueur est d’une immensité quasiment jamais vue dans un autre titre. Les plaines s’étendent à perte de vue, laissant entrevoir des pitons rocheux se découpant sur un ciel bleu ; au loin, un pont de pierre enjambant un gouffre béant ; à l’est, un désert brûlant semblant n’avoir aucune limite. La carte du monde est tout bonnement gigantesque et parvient à faire ressentir au joueur un sentiment de petitesse extrême ; de plus, le fait que ces terres soient entièrement désertées permet au joueur de pouvoir s’attarder sur les décors majestueux qu’offre le titre. Il suffit de traverser une épaisse forêt, puis de s’arrêter au bord d’une falaise faisant face à une haute montagne afin de réaliser l’immensité des décors.

Parlons également du design des colosses ; ceux-ci sont véritablement immenses, et savent impressionner le joueur. Leur aspect bestial ne fait qu’ajouter à ce sentiment de puissance et d’immensité. Il faut voir un colosse soulever sa jambe titanesque avant de l’abattre lourdement sur le sol afin de pleinement comprendre à quel point l’animation de ces monstres a été travaillée, pour que le joueur puisse palper la force incommensurable émanant d’eux. Au nombre de seize, les colosses ont tous des aspects originaux. Si l’on peut tout de même discerner certaines familles (ceux d’apparence plus ou moins humaine, les quadrupèdes, les volants…), chaque colosse est vraiment unique et chaque nouvelle rencontre avec l’un de ces géants est l’occasion de s’émerveiller un peu plus devant leur gigantisme.

Le monde qui s’offre aux yeux du joueur est relativement sombre ; les environnements sont pour la plupart colorés en nuances de gris, de noir ou de marron, même si certains paysages éclairés par le soleil arborent des teintes plus chatoyantes. L’ensemble contribue à faire de l’univers de Shadow of the Colossus un monde désolé, sans vie, où seule la mort et la solitude semblent avoir droit de cité. Le joueur se sent ainsi égaré dans des terres hostiles et sombres.

Malheureusement, une telle performance technique a son revers de médaille : la Playstation 2 étant poussée au maximum de ses capacités, il arrive que des chutes de framerate assez conséquentes se produisent. De plus, les environnements subissent parfois un clipping assez désagréable, certains éléments du décor n’apparaissant que lorsque le joueur est très proche.

Shadow of the Colossus
Cela risque de ne pas être très efficace…

Wanda, alpiniste de l’extrême

Le gameplay de Shadow of the Colossus est, comme le fut celui d’Ico en son temps, particulièrement original. L’action est ainsi divisée en deux temps : dans la première, le héros (nommé Wanda), parcourt les immenses environnements proposés par le jeu afin de traquer un à un les différents colosses. Pour l’aider dans sa tâche, il dispose de son fidèle destrier, Agro, et d’une épée mystique pouvant concentrer les rayons solaires ; plus l’épée est alignée dans l’axe joignant Wanda et le colosse, plus le faisceau de lumière est intense. Il est ainsi possible de s’aider de cette indication à tout moment en appuyant sur Rond. Une carte est accessible par une simple pression du bouton Start, mais elle n’est pas assez détaillée pour permettre de se repérer avec précision.

Si ce système a le mérite d’être intelligent et original, il trouve relativement vite ses limites : par exemple, si le colosse est situé derrière une falaise, le faisceau de lumière pointera droit sur la falaise. Le joueur sera ainsi contraint de trouver un chemin menant au colosse ; et autant le dire, certains chemins sont parfois bien alambiqués. De plus, certaines bêtes se terrent dans des lieux difficiles d’accès et les phases de recherche finissent par s’éterniser vers la fin du jeu, ce qui ne manque pas de lasser petit à petit le joueur. En effet, l’absence pure et simple d’ennemis rend ces phases de recherche assez mornes.

Cependant, la seconde phase de jeu est bien plus palpitante et c’est dans ces phases que le jeu trouve réellement son intérêt. Wanda doit ainsi vaincre seize colosses ; pour cela, il dispose d’une épée, d’un arc et peut également compter sur son cheval. Chaque colosse présente sur son corps un ou plusieurs signes vitaux, qui peuvent être révélés en éclairant le colosse à l’aide de l’épée de Wanda : il sera ainsi nécessaire de trouver un chemin jusqu’à ces signes vitaux et de les perforer au moyen de sa lame. Si cela paraît simple à la lecture, il ne faut pas oublier que les colosses sont mobiles et cherchent à empêcher Wanda de mener sa quête à bien en tentant de l’écraser comme un vulgaire insecte.

Pour atteindre les signes vitaux des colosses, Wanda est ainsi contraint de grimper sur ces géants et de trouver un chemin jusqu’à ces points faibles tant convoités. Il dispose ainsi d’une jauge d’endurance qui se vide au fur et à mesure qu’il est suspendu à une surface, et qui, une fois vide, provoque une douloureuse chute ; cette jauge se recharge progressivement lorsque Wanda est sur une surface plane. Le joueur doit donc impérativement gérer l’inexorable diminution de cette endurance ; cela n’est pas chose aisée, car les colosses ont tendance à remuer violemment afin de faire lâcher prise à Wanda. Lorsque cela se produit, le joueur ne peut plus se déplacer et doit simplement maintenir R1 enfoncé afin de tenir bon.

Il est intéressant de constater que la façon dont Wanda se suspend aux colosses, dont il est violemment balancé lorsque les colosses se trémoussent, dont il progresse sur le corps de ces créatures apparaît relativement réaliste et donne parfois même une impression de faiblesse : Wanda n’est pas un surhomme, mais un être normal qui se lance à l’assaut de créatures infiniment plus puissantes que lui.

Si les premiers colosses sont relativement faciles à vaincre, les affrontements se corsent rapidement et les titans ne dévoilent plus leurs points faibles facilement. Il est ainsi nécessaire de découvrir la stratégie qui sera la plus à même de faire plier chacun des seize mastodontes, stratégie qui se révèle parfois assez complexe à mettre en œuvre où à découvrir. Il faudra parfois attirer un colosse en le criblant de flèches afin de lui sauter dessus, l’amener à pencher sa tête afin de s’accrocher à sa barbe ou encore le faire chuter alors qu’il escalade un mur. Toutefois, un indice est fourni au joueur par le biais de Dormin (nous reviendrons sur ce personnage) à chaque fois que celui-ci se lance à la poursuite d’un nouveau colosse.

Il est à noter que les jauges de vie et d’endurance peuvent être augmentées : en effet, le joueur peut croiser durant son périple des arbres fruitiers ainsi que des salamandres à queue blanche. Manger les fruits ou les queues de ces salamandres permet d’augmenter respectivement les jauges de vie et d’endurance. Il est ainsi possible de simplifier les affrontements contre les colosses si l’on éprouve trop de difficultés.

Dans l’ensemble, la maniabilité est bonne ; les combats contre les colosses sont un véritable régal, atteignant le paroxysme de la grandiloquence et des sensations épiques. Toutefois, on pourra regretter quelques problèmes de caméra, et des déplacements relativement rigides : Wanda et son destrier sont en effet assez lourds à contrôler, ce qui peut occasionner quelques frustrations durant les combats contre les colosses.

Shadow of the Colossus
Wanda s’apprête à planter sa lame dans le corps de ce colosse.

Tu iras vaincre seize bêtes mythiques en moins d’une matinée

A l’image d’Ico, son prédécesseur, Shadow of the Colossus se révèle véritablement court : comptez à peine sept à huit heures pour en voir le bout. Les affrontements contre les colosses s’enchaînent assez rapidement et même les phases de recherche, plus longues, ne parviennent pas à rallonger conséquemment la durée de vie.

On notera cependant avec intérêt que le jeu propose un mode Difficile accessible une fois l’aventure terminée, ainsi que la possibilité de combattre chaque colosse individuellement en temps limité. Réussir ces défis permet d’acquérir des objets plus puissants pour Wanda, tel qu’un arc amélioré, une épée plus puissante ou même une tunique d’invisibilité ! Ce contenu supplémentaire prolonge légèrement l’expérience, mais celle-ci reste très succincte.

Shadow of the Colossus
Certaines de ces seize bêtes sont vraiment titanesques…

Silence. Envolée. Silence.

La bande-son du jeu est très particulière dans le sens où elle est divisée en deux : durant les phases de traque, l’ambiance sonore est parfaitement silencieuse. L’immuabilité des environnements traversés et le silence oppressant ne sont brisés que par le martèlement des sabots d’Agro sur le sol et les cris de Wanda à son cheval. Pas un pépiement d’oiseau, pas un bruissement de feuille ; rien n’est audible. Un souffle de vent discret se fait parfois entendre, mais dans cette partie du jeu, le son est quasiment inexistant. Ce choix permet notamment de rendre compte de la désolation des environnements traversés, et de facto de renforcer l’immersion.

Toutefois, tout change durant les combats contre les colosses : démarrant lentement, les thèmes gagnent peu à peu en intensité et deviennent rapidement très emportés, illustrant à la perfection la violence de la lutte et les tribulations endurées par Wanda. Epiques, sauvages, les morceaux que l’on peut entendre durant ces affrontements sont un véritable régal auditif qui fait véritablement honneur aux capacités de la console et qui plonge avec maestria le joueur dans l’action palpitante qu’il est en en train de vivre. Cette double ambiance musicale, confrontant deux types d’ambiances très différentes l’une de l’autre, est tout à fait unique et se révèle très réussie.

Shadow of the Colossus
…tandis que d’autres sont plus petites, mais pas moins dangereuses.

Qui est à blâmer ? L’homme ? La bête ?

Le jeu s’ouvre sur un prologue narrant l’histoire des terres interdites, que nul n’ose fouler de crainte de périr. Pourtant, nous retrouvons ensuite le héros, Wanda, ainsi que son cheval, se dirigeant vers un temple ancien dominant les plaines de ces terres maudites. Une fois à l’intérieur, Wanda dépose le corps sans vie d’une jeune femme sur un autel ; une voix émanant des cieux s’adresse alors à lui. L’entité, qui se présente sous le nom de Dormin, lui demande ses intentions ; Wanda lui répond que cette jeune femme ne méritait pas la mort, et souhaite la ressusciter. Dormin lui apprend que pour parvenir à ses fins, Wanda devra traquer et détruire les seize colosses qui gardent ces terres…

A l’image de celui d’Ico, le script de Shadow of the Colossus reste parsemé de zones d’ombre et ne progresse que peu durant l’aventure. Il faut attendre la fin du jeu et la défaite du dernier colosse afin de pouvoir véritablement comprendre le scénario. Les explications restent cependant ténues et laissent l’imaginaire du joueur s’interroger sur la signification réelle de certains évènements ou bien sur l’histoire de certains protagonistes.

Toutefois, tout comme dans Ico, le script s’efface au profit de l’ambiance. A l’inverse d’Ico qui proposait une ambiance poétique et calme malgré quelques moments tragiques, Shadow of the Colossus opte plutôt pour une ambiance sombre, lourde, et pesante. Les teintes foncées des environnements, la solitude extrême du héros ou encore le silence de mort qui règne pendant l’ensemble des phases d’exploration confère à ces terres interdites un véritable sentiment de désolation. Il faut voir Wanda se tenir seul face à l’immensité d’un désert, alors que même le vent ne se fait pas entendre et que d’épais nuages obscurcissent le ciel, pour pleinement comprendre le sentiment indescriptible que fait naître chez le joueur Shadow of the Colossus.

A ce sujet, les brèves cinématiques accompagnant la chute de chaque colosse sont particulièrement marquantes. A la mort de chaque titan, le joueur assiste à la chute de la bête et à ses longues plaintes d’agonie, le tout sur un fond musical déchirant. Pas de sentiment de victoire, pas de boîte de texte indiquant que le héros a vaincu un colosse : le joueur fait alors pleinement face à l’horreur de sa mission, lui qui détruit ces géants innocents et finalement pacifiques puisqu’ils ne font que se défendre face aux assauts furieux de Wanda. Cet étrange sentiment de culpabilité est difficile à décrire et ne peut être véritablement compris qu’en s’essayant à l’expérience unique qu’est Shadow of the Colossus.

Shadow of the Colossus
Chaque victoire sur un colosse vous ramène au temple où attend votre bien-aimée.

C’est l’heure de rendre les copies !

Graphismes : Hormis quelques chutes épisodiques de framerate, les graphismes sont sublimes et poussent la Playstation 2 dans ses derniers retranchements. Le gigantisme des environnements traversés est poussé à l’extrême et offre aux yeux du joueur d’immenses territoires désolés, aux teintes sombres ; de plus, l’apparence de chacun des seize colosses est originale, et l’animation de ces titans permet de faire ressortir avec talent la petitesse du héros. 

Jouabilité : Scindé en deux phases, le gameplay de Shadow of the Colossus propose une alternance entre l’exploration de paysages désolés et l’affrontement épique contre des géants. Si la première partie peut se révéler lassante à la longue, même si elle propose une ambiance solitaire au charme particulier, la seconde est tout bonnement jouissive, procurant au joueur une délicieuse adrénaline. Les combats contre les colosses sont ainsi de véritables morceaux de bravoure et créent chez le joueur un vrai sentiment d’héroïsme. On regrettera toutefois une caméra parfois capricieuse et des déplacements assez lourds.

Durée de vie : Malheureusement trop courte, l’expérience que constitue Shadow of the Colossus ne vous retiendra guère plus de huit heures. Les défis annexes proposés n’ont finalement que peu d’intérêt et ne suffisent pas à augmenter la durée de vie de manière conséquente. 

Bande-son : Alternant entre silence de mort et compositions orchestrales emportées, l’ambiance musicale du titre se révèle très inspirée. Parcourir des environnements sans la moindre vie dans un silence écrasant contribue à l’ambiance torturée du jeu ; au contraire, les morceaux virevoltants que l’on peut entendre durant les affrontements contribue au caractère épique de ceux-ci et sait faire frissonner de plaisir le joueur. Cette dichotomie profonde contribue à créer une ambiance inimitable osée, mais diablement efficace.

Scénario : Si l’intrigue générale reste relativement peu étoffée, l’ambiance qui se dégage de Shadow of the Colossus est tout bonnement unique. La solitude du héros qui arpente ces terres de désolation, ainsi que sa faiblesse face aux titans qui se dressent contre lui sont parfaitement mises en scène et le joueur se sent pleinement impliqué dans les tribulations de Wanda. Contrairement à un jeu vidéo classique, il n’y a ici pas de véritable allié ou de véritable ennemi, seul un être désorienté qui semble finalement se battre contre lui-même. La mort des colosses, tragique, se révèle étonnamment lourde de sens et sait interpeller le joueur. Renversant, tout simplement.

Conclusion : Nous entraînant dans une aventure onirique à l’ambiance étouffante tout simplement délectable, le titre sait nous charmer grâce à une réalisation soignée et une superbe bande-son. Cette quête opposant un homme à seize titans est épique, osée, marquante, et finalement bien difficile à décrire. Jouez à Shadow of the Colossus ; ce n’est qu’alors que vous pourrez ressentir toute la magie dont est teintée cette œuvre. S’il fallait choisir un seul mot pour définir ce jeu, ce serait « unique », tout simplement. 

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